equal in the face of addiction

10-16-2017

Hasard ou prédisposition?

La toxicomanie, j’ai toujours pensé que ça n’arrivait qu’aux autres. Je ne suis devenue toxicomane que sur le tard, vers 35 ans, alors que je n’avais jamais consommé quoi que ce soit, ni alcool, ni drogue. Toutes les substances sans exception m’effrayaient par leur capacité à infliger une perte de contrôle, synonyme d’enfer pour la grande angoissée que j’étais. Comme il était hors de question que j’en consomme, je me croyais à jamais épargnée de l’addiction.

Je ne me suis donc pas méfiée lorsque mon médecin de famille m’a prescrit des benzodiazépines pour traiter un trouble panique qui me rendait la vie impossible (lire Les deux visages de la toxicomanie ). S’il m’avait informée que cette minuscule pilule blanche avait le même effet sur le cerveau que l’alcool, j’aurais peut-être réfléchi deux fois plutôt qu’une avant de me jeter, tête première, dans le gouffre de la pharmacothérapie.

J’ai d’ailleurs été plusieurs années en colère envers ce médecin et je ne comprenais pas pourquoi il m’avait prescrit un médicament aux propriétés hautement addictives, et donc dangereuses. Mais cela, c’est avant que j’apprenne, grâce à des recherches presqu’exhaustives, que la substance en elle-même n’est pas l’unique cause de la toxicomanie (lire L’expérience du Rat Park : mieux comprendre l’addiction ). Si consommer une substance toxique ne suffit pas pour nous rendre automatiquement dépendant, serait-ce parce qu’il existe en nous une prédisposition à le devenir?

Le rat : mammifère modèle de l’homme

Pier Vincenzo Piazza, un médecin psychiatre, neurobiologiste et spécialiste de l’addictologie en France, s’intéresse particulièrement aux mécanismes qui mènent à la dépendance. Selon lui, « l’addiction ne se résume pas à la prise de drogues mais à une consommation compulsive maintenue en dépit des conséquences néfastes engendrées. Ce comportement n’apparaît que chez une faible proportion des consommateurs (15-20%) et possède les caractéristiques d’une maladie chronique, puisque la rechute, même après des périodes prolongées de sevrage, est quasiment la règle (90% environ). »[1]

Le rat est l’animal privilégié pour étudier les principes de la toxicomanie, car il manifeste un comportement étonnamment similaire à l’homme. Pendant trois mois en 2004, Piazza et son équipe de chercheurs ont observé les schémas de consommation d’une centaine de rats entraînés à s’auto-administrer de la cocaïne.

Des rats et des hommes…toxicomanes

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Ainsi, sur l’ensemble des rats consommateurs de cocaïne, 17 % étaient « accros » et montraient des signes de toxicomanie dès le deuxième ou le troisième mois d’auto-administration de cocaïne. La toxicomanie d’un consommateur ne serait donc pas seulement déclenchée par son exposition prolongée à la drogue, ce qui demeure un facteur aggravant, mais aussi par son degré de vulnérabilité personnelle. Le cerveau du toxicomane serait donc prédisposé à développer des comportements de dépendance.

 

Au cours de cette étude, trois comportements considérés comme des critères du diagnostic de dépendance chez l’homme (selon le DSMIV, principal manuel de diagnostic en psychiatrie) ont été évalués à plusieurs reprises :

  • La difficulté à arrêter ou à limiter sa consommation

Cette difficulté a été testée en comptabilisant les demandes des rats pour la cocaïne pendant les périodes d’abstinence forcée. Lorsque la cocaïne n’était plus distribuée, les rats « normaux » n’en réclamaient plus, tandis que les rats « dépendants » en redemandaient inlassablement.

  • La motivation élevée pour la recherche de drogue et sa consommation

La motivation des rats a été testée en comptabilisant les demandes qu’ils faisaient pour recevoir de la drogue. Les rats « normaux » cessaient leurs demandes après quelques tentatives insatisfaisantes, tandis que les rats « dépendants » renouvelaient leur demande jusqu’à un millier de fois.

  • La consommation continue malgré les conséquences néfastes

Cette compulsivité a été testée en évaluant la persistance des rats lorsque la prise de drogue était associée à une punition. Les rats « normaux » stoppaient leurs demandes lorsqu’elles étaient suivies d’un choc électrique, tandis que les rats « dépendants » enduraient les chocs électriques et persistaient dans leurs demandes.

Ainsi, sur l’ensemble des rats consommateurs de cocaïne, 17 % étaient « accros » et montraient des signes de toxicomanie dès le deuxième ou le troisième mois d’auto-administration de cocaïne. La toxicomanie d’un consommateur ne serait donc pas seulement déclenchée par son exposition prolongée à la drogue, ce qui demeure un facteur aggravant, mais aussi par son degré de vulnérabilité personnelle. Le cerveau du toxicomane serait donc prédisposé à développer des comportements de dépendance.

La dépendance, ce n’est pas un choix!

Si parmi 100% des rats consommateurs de cocaïne, qui n’ont donc pas fait le « mauvais choix » d’en consommer, seulement 17 % d’entre eux deviennent toxicomanes, pourquoi la toxicomanie est-elle encore perçue comme le résultat d’avoir fait un mauvais choix? Probablement parce que le 83 % des non-dépendants de la population ne sait pas que justement, nous ne sommes pas tous égaux devant l’addiction. Certains croient que si l’on est dépendant, c’est qu’on a en quelque sorte choisi de l’être. Après tout, estiment-t-ils, les toxicomanes ont librement décidé de consommer des drogues; ils ont donc, du même coup, accepté l’éventualité de devenir toxicomanes! L’addiction ne serait que la conséquence malheureuse d’un mauvais choix. Cette idée reçue persiste, alors que les recherches de Piazza montrent clairement que la consommation de drogues ne rend que 17% des rats dépendants.

Je n’ai pu m’empêcher, en lisant cette étude, de me reconnaître dans le rat « accro » qui appuie sur le levier jusqu’à un millier de fois pour obtenir sa drogue et qui continue d’en redemander malgré les chocs électriques. Dépendante aux benzodiazépines, je devais en prendre 10 mg quand j’étais au plus mal (1 mg étant habituellement la dose prescrite) pour ne pas être accablée par les symptômes extrêmement pénibles du sevrage qui provoquent une envie compulsive de reprendre la substance pour survivre. Ce qui me rendait prête à tout pour consommer et ne pas mourir[2]. J’ai menti, j’ai manipulé, j’ai abusé de la gentillesse des médecins, j’ai fait des crises de pleurs et de colère à mes parents, j’ai été odieuse, bref, je suis allée à l’encontre de mes valeurs les plus fondamentales (lire, Le parcours d’Alexandre : comment la toxicomanie l’a éloigné de sa famille). Plus personne ne reconnaissait la fille intelligente qui avait fait ses études doctorales à Paris, au parcours scolaire impeccable. J’étais devenue un monstre toxicomane et ce stigma allait révoquer toutes mes réussites antérieures et redéfinir l’essence de ma personne aux yeux de mon entourage.

 

Un cerveau de toxicomane c’est comme une empreinte digitale

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Aujourd’hui, je comprends que le cerveau du toxicomane est unique comme l’est notre empreinte digitale. Il ne peut consommer de substance psychoactive, car il y réagit de façon immodérée. Sachant cela, le bon choix, c’est de ne pas consommer.

 

 

Faire le mauvais choix de prendre des drogues ne conduit pas forcément à la dépendance, mais la dépendance conduit certainement à faire tous les mauvais choix. Et la seule personne incapable de s’en rendre compte, c’est soi-même, lorsqu’on est pris dans l’enfer de la toxicomanie, complètement aveuglé.

Aujourd’hui, je comprends que le cerveau du toxicomane est unique comme l’est notre empreinte digitale. Il ne peut consommer de substance psychoactive, car il y réagit de façon immodérée. Sachant cela, le bon choix, c’est de ne pas consommer.

La toxicomanie n’arrive qu’aux autres? L’autre, c’est moi.

 

Isabelle Fortin

Bloggeuse pour Portage

Lire la suite : La drogue et l’alcool : des pièges sournois

[1]http://www.google.ca/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=0ahUKEwjTxpXims3VAhVC3IMKHZuXBcoQFggmMAA&url=http%3A%2F%2Fwww.inserm.fr%2Fcontent%2Fdownload%2F9790%2F73888%2Fversion%2F1%2Ffile&usg=AFQjCNHZUpAJJL39cfybPM5UNv1q_beMvQ

[2] L’arrêt subit de 10 mg de benzodiazépines peut être fatal et doit absolument se faire sous la supervision d’une équipe médicale.

3 Responses to “Sommes-nous tous égaux devant l’addiction?”

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