Ce qui suit est le discours d’Alexandre, usager du centre de jour pour adultes à Québec qu’il a prononcé lors de la Cérémonie de Reconnaissance qui s’est tenue le 8 décembre dernier au Grand Théâtre de Québec.
Bonjour à tous, j’aimerais commencer en mentionnant que je suis reconnaissant et fier de me tenir devant vous pour représenter les finissants de Portage Québec et de partager avec vous mon parcours. C’est pour moi un réel plaisir de le faire.
Je tiens aussi, avant de commencer, à féliciter les gens qui ont entrepris un cheminement thérapeutique et qui continuent de mettre des efforts et de l’énergie dans leur rétablissement. Arrêter de consommer est extrêmement difficile et c’est un choix qu’il faut refaire tous les jours. Ce dévouement se doit d’être souligné.
À présent, j’aimerais vous en dire un peu plus sur mon parcours. D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été quelqu’un de plutôt introverti. Je n’ai jamais été la personne qui parle fort ou qui prend de la place dans un groupe. Je réfléchis plus que je parle. J’aime faire mes petites choses dans mon coin et je suis plutôt casanier. J’ai aussi toujours été passionné par la nature, la forêt et les animaux. Je me revois, enfant, les pieds dans l’eau à la recherche de grenouilles, et je me rappelle aussi la réaction de ma mère quand je ramenais mes trouvailles à la maison.
En grandissant, j’ai senti de plus en plus que ces traits de personnalité et ces centres d’intérêts étaient différents de ceux des gens que je côtoyais, et surtout qu’ils dérangeaient. Cette impression a été initiée par l’intimidation que j’ai vécue au primaire et au secondaire, puis a été accentuée par des commentaires de mes amis ou d’autres personnes autour de moi qui me faisaient comprendre que j’étais différent, étrange et à part. Pour ne rien aider, j’ai longtemps éprouvé de grandes difficultés académiques. Le simple fait d’obtenir la note de passage était pour moi une célébration. Lorsque le diagnostic de déficit de l’attention, de dyslexie et de dysorthographie est tombé, ça a eu l’effet d’un baume qui a expliqué toutes mes difficultés académiques et d’une épine au pied qui me donnerait l’impression pendant des années que je n’avais pas ma place dans le monde universitaire. Pour un passionné de biologie, c’était un obstacle de taille.
Après quelques tentatives infructueuses dans des domaines différents, j’ai tout de même fini par tenter ma chance en biologie, mais plus le temps avançait, plus je me sentais comme un imposteur, et ce malgré les réussites qui se succédaient. Les marques laissées par l’intimidation étaient profondes et si bien ancrées que, des années plus tard, j’avais l’impression qu’à la moindre erreur ou au moindre mot de travers, tout le monde autour de moi se rendrait compte à quel point je n’avais pas ma place. Après tout, mes tortionnaires me l’avaient tellement répété qu’ils ne pouvaient pas avoir tort.
L’anxiété et le syndrome de l’imposteur se sont mis à prendre de plus en plus de place. J’ai essayé pendant des années d’apprendre à les gérer, sans succès. C’était toujours de pire en pire. Avec le temps et à force de tentatives infructueuses, je me suis retrouvé à cours de solution. La souffrance était devenue trop grande et je ne voyais plus d’autres alternatives que la consommation. Au début, elle m’a été d’un grand secours, mais avec le temps, elle a fini par prendre toute la place, jusqu’à ce que je mette de côté tout ce que j’aimais et tout ce qui était important pour moi : mon travail, mes amis, ma famille, ma blonde… Une seule journée sans consommation était devenue un calvaire.
Après plusieurs tentatives infructueuses à arrêter de consommer, épuisé et à bout de ressources, j’ai demandé de l’aide à Portage et j’ai entamé une thérapie au centre de jour de Québec. J’y ai appris énormément sur moi, sur les raisons qui m’ont poussé à consommer et qui pourraient m’y ramener, sur la gestion de mes émotions, sur la communication saine, sur le développement de mon estime personnelle et sur tant d’autres choses.
Aujourd’hui, après exactement deux ans et huit jours d’abstinence, je peux dire que je suis enfin heureux. Les difficultés et les problèmes sont encore présents, mais j’ai maintenant une confiance infiniment plus grande que je peux passer au travers. J’ai renoué avec mon entourage et j’ai retrouvé mes passions.
La forêt, le plein air et la biologie étaient pour moi source de bonheur et d’apaisement, mais la consommation avait mis un voile sur mes yeux, me montrant seulement les mauvais côtés. Je ne voyais plus que le risque d’échec dans mon travail, le risque de rupture grandissant avec ma copine et entre le froid, la chaleur, la neige et les moustiques, le plein air n’était devenu qu’inconfort et source d’irritation. Aujourd’hui, je vis encore ces inquiétudes et ces désagréments, mais ils ne sont rien en comparaison au bien-être que me procurent mon travail, ma copine et la forêt, même qu’ils rendent ce bien-être encore plus précieux. Mon travail me valorise de nouveau et je vis des succès. Je retrouve le bonheur que j’avais, enfant, quand je soulevais des pierres à la recherche de bestioles, et oui je le fais pour vrai à 31 ans. Je revois le bonheur dans les yeux de ma blonde, et je le sens dans mon cœur quand je la regarde.
La vie n’est toujours pas exempte de difficultés et de défis, mais j’ai désormais les outils pour les gérer, un problème à la fois, une journée à la fois.
Pour finir, j’aimerais prendre un moment pour dire un immense merci à toute l’équipe de Portage. Moi seul pouvais le faire, mais je ne pouvais y arriver seul. Sans l’aide de Portage, je n’y serais pas arrivé. Vous faites un travail exceptionnel et vous changez réellement des vies. Vous avez changé la mienne en tout cas. Intervenants et membres du personnel de Portage, vous me direz sans doute que c’est moi qui peux être fier de moi, et croyez-moi, je le suis. Mais je crois que vous aussi, vous pouvez vous coucher ce soir en étant fiers de ce que vous accomplissez au quotidien.
Merci.
Alexandre, centre de jour de Québec, Cérémonie de Reconnaissance Québec, 2024
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