Drug addiction

10-16-2017

Sans mon consentement, j’ai personnellement et rapidement été plongée dans le monde de la toxicomanie. Je souffrais depuis plus de 15 ans d’un trouble panique qui, en rythmant mon quotidien de crises d’angoisse, en faisait un véritable enfer. Ses symptômes, qui s’apparentent à ceux d’une crise cardiaque (nausées, étourdissements, palpitations cardiaques, douleurs abdominales, impression d’être en train de mourir), me forçaient à éviter toutes les situations susceptibles de les provoquer.

Je m’étais involontairement séquestrée chez moi, complètement épuisée et désespérée. Un médecin de famille a décidé de me prescrire un médicament anxiolytique, appelé benzodiazépine, pouvant traiter cette angoisse démesurée. Il s’agissait d’une minuscule pilule blanche au look bien inoffensif qui me permettrait de retrouver un semblant de vie normale. Sans hésiter, et avec une grande confiance, j’ai suivi les conseils du scientifique en chemise blanche. Dès la première prise, l’efficacité du cachet s’est avérée si extraordinaire que je ne comprenais pas pourquoi on ne me l’avait pas prescrit auparavant.

Après une année sans anxiété, j’ai voulu m’en sevrer. C’est à ce moment précis que j’ai compris que sans ma dose quotidienne, les symptômes extrêmement désagréables que je voulais éviter à tout prix revenaient : tremblements, rebond d’anxiété, état d’agitation, nausées, etc. Pire, je devais l’augmenter pour obtenir le même effet calmant. Une dure réalité s’imposa : je ne pouvais plus m’en passer, j’étais devenue une droguée, une toxicomane.

Janus, the two-faced Roman god: one face looks to the past, the other to the future

 

Je ne pouvais plus vivre sans cette substance envers laquelle j’étais devenue physiquement et psychologiquement dépendante – les symptômes du sevrage affectant autant le corps que l’esprit. De plus, ma tolérance s’étant sournoisement accrue avec le temps, il me fallait augmenter exponentiellement les doses pour retrouver le même effet. Autrement dit, j’étais incapable de mettre fin à cette double et inextricable dépendance, bien qu’elle me plongeait dans un esclavage dont j’étais bien consciente.

 

Janus, un dieu romain à deux visages : l’un regarde vers le passé, l’autre vers le futur

Toxicomanie : toxikon, « poison » et mania, « folie ».

L’étymologie grecque du terme toxicomanie signifie « folie pour un poison » ou « manie de l’intoxication », et il décrivait parfaitement ma nouvelle condition. Je ne pouvais plus vivre sans cette substance envers laquelle j’étais devenue physiquement et psychologiquement dépendante – les symptômes du sevrage affectant autant le corps que l’esprit. De plus, ma tolérance s’étant sournoisement accrue avec le temps, il me fallait augmenter exponentiellement les doses pour retrouver le même effet. Autrement dit, j’étais incapable de mettre fin à cette double et inextricable dépendance, bien qu’elle me plongeait dans un esclavage dont j’étais bien consciente.

Le terme addiction comprend d’ailleurs la notion d’esclavage. Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, le mot addiction dans la langue française n’est pas un anglicisme. Il provient du latin addictus, « affecté » à tel maître. La personne qui s’adonne à une addiction est asservie, en totale perte de contrôle et de liberté. Elle ne peut plus s’empêcher de perpétuer un comportement indésirable aux conséquences négatives pour elle-même et son entourage, et cela, en toute conscience.

 

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J’ai pris les premières doses parce que je voulais vivre, être heureuse et échapper à la douleur mentale. Ce n’est qu’en développant une forte accoutumance que j’ai compris que tout en me soulageant, cette pilule détruisait ma vie. Mais il était déjà trop tard : elle était devenue le centre de ma vie et le seul remède à ma souffrance.

 

Addictus : être l’esclave de.

 

Comment addictus permet de mieux comprendre la toxicomanie

Curieusement, c’est une anglophone qui a réintroduit en 1978 le vieux vocable français addiction. En cherchant la traduction française du mot anglais addiction, la psychanalyste Joyce McDougall n’a pas été satisfaite de ne trouver que le terme toxicomanie qui, du point de vue étymologique, ne représente pas la motivation première du toxicomane. En effet, ce terme, qui signifie la manie de l’intoxication, insiste plutôt sur l’action que l’intention de s’intoxiquer. Or, le toxicomane n’a pas de désir mortifère de s’empoisonner, mais, au contraire, celui de se soigner lui-même, d’aller mieux. « L’objet d’addiction est investi de qualités bénéfiques, voire d’amour, perçu parfois comme ce qui donne sens à la vie, offrant l’illusion de pallier les difficultés, il est saisi à chaque instant pour soigner et atténuer des états affectifs douloureux, intolérables pour le sujet. »[1]

L’objet de mon addiction, une pilule qui combat l’angoisse, n’était rien d’autre que ma tentative de guérison, de mieux-être. J’ai pris les premières doses parce que je voulais vivre, être heureuse et échapper à la douleur mentale. Ce n’est qu’en développant une forte accoutumance que j’ai compris que tout en me soulageant, cette pilule détruisait ma vie. Mais il était déjà trop tard : elle était devenue le centre de ma vie et le seul remède à ma souffrance.

Une tentative désespérée de mieux-être

Comprendre l’économie psychique des personnes qui organisent leur vie autour d’une addiction constitue l’engagement actuel des spécialistes de la toxicomanie. Les propriétés addictives des substances toxiques ne peuvent plus, à elles seules, expliquer le phénomène de dépendance. L’apparition de « nouvelles addictions » au jeu pathologique, au sexe, au shopping, etc., en est la preuve : l’addiction existe même sans substance toxique et elle affecte sensiblement de la même façon le système complexe de récompense du cerveau. La dépendance à une substance et celle à un comportement ont ceci de commun: tous ceux qui en souffrent sont accablés socialement et psychologiquement par l’ampleur du temps et des moyens qu’ils y consacrent. Toute la vie est organisée autour d’une solution unique et c’est ainsi que les petites dépendances du quotidien, qui existent chez tout un chacun, prennent une place démesurée et deviennent problématiques.

Le toxicomane et l’addict au sexe – pour prendre un exemple – ont tous deux un comportement compulsif et obsessionnel : le premier a développé une manie pour les substances toxiques, et le deuxième, pour la pornographie. Leur intention première n’est pas d’ingérer un poison, comme l’étymologie grecque du terme toxicomanie l’indique, mais plutôt d’échapper à un mal-être devenu ingérable, de retrouver un mieux-être.

 

L’addiction à la passion et la passion de l’addiction

Comme le dieu romain Janus, le toxicomane ou le dépendant à une substance toxique, que ce soit à l’alcool ou à n’importe quelle autre drogue, a deux visages : l’un est orienté vers le passé, et l’autre, vers le futur. Le toxicomane adopte un comportement gratifiant dans l’immédiat qui le soulage et lui fait oublier momentanément ce qui demeure désagréable du passé, et cela, en vue d’un avenir meilleur. Le problème est qu’il s’absente du moment présent, l’unique lieu où il peut régler le passé et construire l’avenir.

En fuyant le moment présent, parce trop angoissant pour moi, je me suis retrouvée à 37 ans dans un centre de réhabilitation en dépendance avec la honte au ventre. La honte de ne pas avoir été capable de régler seule mon problème, de n’avoir pas été plus intelligente que la substance, d’avoir eu besoin d’aide. Or, ce que la toxicomanie m’a permis de faire, c’est d’aller à la rencontre de mes semblables, de poser un regard thérapeutique et empathique sur la personne que je suis et de me sentir pleinement accueillie par une communauté qui me comprenait sans me juger. J’avais rarement ressenti cela dans la société « normale ».

En parlant de normalité, je me demande si les toxicomanes ne sont pas tout simplement des hyper passionnés, des impulsifs qui prennent plus de risques que les autres. Je me suis personnellement défoncée par besoin de me sentir mieux, comme je l’ai fait pour tout ce que j’ai aimé de la vie. Aujourd’hui, je travaille sans relâche pour ne pas retomber dans le piège de la dépendance, en transformant ce combat en une passion, celle de comprendre vraiment ce qu’est l’addiction.

 

Isabelle Fortin

Bloggeuse pour Portage

 

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L’expérience du Rat Park : mieux comprendre l’addiction

 

[1] Saïet, Mathilde, Les addictions, PUF, Paris, 2015, p. 16.

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