Pitfalls Drug Alcohol

10-24-2017

Nous ne sommes pas tous égaux devant l’addiction

Dans mon article précédent, Sommes-nous tous égaux devant l’addiction?, j’évoque l’excellente étude d’un grand spécialiste de la toxicomanie, Pier Vincenzo Piazza, sur une centaine de rats consommateurs de cocaïne. Après en avoir consommé librement pendant trois mois, seulement 17 % des rongeurs avaient développé des comportements de dépendance à la cocaïne, alors que les autres n’avaient aucune difficulté à limiter et à cesser leur consommation lorsqu’elle n’était plus possible ou lorsqu’elle entraînait une conséquence désagréable, comme un choc électrique.

Le degré de vulnérabilité personnelle est donc un facteur déterminant dans le développement d’une addiction, comme l’indique cette expérience réalisée en 2004. Mais comment mesurer notre propre vulnérabilité? Malheureusement, on ne la découvre que trop tard, lorsqu’on est pris au piège sournois de l’alcool ou de la drogue, comme la mouche tombée dans la gueule du népenthès.

La drogue et l’alcool : des pièges sournois

 

La force de gravité, la tentation du nectar encore disponible et la disposition des poils contribuent à attirer l'insecte inconscient du danger à l'intérieur du piège. La malheureuse mouche est tellement occupée à faire bombance qu'elle ne se rend pas compte que les parois de l'urne sont de plus en plus raides et qu'elle est entraînée vers le fond.

 

 

David contre Goliath ou la mouche contre le népenthès

Le népenthès est une plante carnivore à piège passif qui complète ses apports nutritifs en utilisant un procédé sournois pour attraper et consommer des insectes.

« Il possède des feuilles en forme d'urne, dont l'intérieur est tapissé de nectar collant. Une odeur entêtante s'en dégage et attire les mouches qui passent à proximité. Ce nectar est aussi savoureux que parfumé, et aucun insecte ne peut résister à un tel festin. Hélas! Ce régal va leur coûter cher. Tout comme le missionnaire naïf qui s'imagine être l'invité d'honneur au banquet alors qu'il en constitue le plat de résistance, l'insecte n'est pas un convive, mais une proie.

Ce n'est pas par hasard que l'urne s'évase en pente douce et que ses parois internes sont recouvertes de petits poils qui poussent tous dans la même direction : vers le bas.

La force de gravité, la tentation du nectar encore disponible et la disposition des poils contribuent à attirer l'insecte inconscient du danger à l'intérieur du piège. Cela ne vous dit rien? Vous commencez à comprendre le rapport entre cette plante carnivore et la toxicomanie? La malheureuse mouche est tellement occupée à faire bombance qu'elle ne se rend pas compte que les parois de l'urne sont de plus en plus raides et qu'elle est entraînée vers le fond.

Pourquoi s'inquièterait-elle? Elle a des ailes, après tout. Même si à présent elle peut observer les dizaines de cadavres en partie digérés qui flottent à la surface du liquide, elle ne craint nullement de connaître le même sort. Elle ne va tout de même pas renoncer à une pareille aubaine alors qu'elle maîtrise la situation et qu'elle peut s'envoler vers la liberté si besoin est. C'est du moins ce qu'elle croit. Mais elle s'est tellement gavée que son poids a doublé et qu'il l'empêche de décoller. Plus elle se débat, plus sa situation s'aggrave, car ses pattes et ses ailes se recouvrent de nectar visqueux. Les parois sont désormais nues, glissantes et verticales, et rien ne peut plus l'empêcher d'aller rejoindre ses compagnes d'infortune. » [1]

 

La drogue et l’alcool : des pièges sournois

 

 

Plus elle se débat, plus sa situation s'aggrave, car ses pattes et ses ailes se recouvrent de nectar visqueux. Les parois sont désormais nues, glissantes et verticales, et rien ne peut plus l'empêcher d'aller rejoindre ses compagnes d'infortune. 

 

 

 

La mouche devrait-elle avoir honte de sa défaite?

La mouche ne se rend donc compte qu’elle est prise au piège que lorsqu’elle ne peut plus s’en libérer. Elle est addicta (féminin de addictus), le vrai sens du terme addiction en français : en état d’esclavage. Je relate d’ailleurs dans un article précédent, Les deux visages de la toxicomanie, comment je me suis retrouvée dans cet état quelques années après avoir débuté un traitement pharmacologique contre l’anxiété. Je m’étais résignée à demander de l’aide uniquement après m’être rendue compte que plus je multipliais les efforts pour m’en sortir seule, plus je m’enfonçais dans les profondeurs obscures de la toxicomanie. J’étais littéralement prise au piège.

J’aurais peut-être demandé de l’aide bien avant si je n’avais pas eu aussi honte de ce qui m’arrivait. Certains de mes amis, qui prenaient quotidiennement 1 mg du même médicament depuis de nombreuses années, soit la dose qui m’avait été originellement prescrite, n’auraient jamais pu s’expliquer comment mes besoins avaient pu dépasser les leurs, au point que j’en consomme jusqu’à 10 mg par jour, soit 10 fois plus qu’eux! Par peur du jugement, je mentais à mon entourage, gageant que je me sortirais de cette situation sous peu.

Je ne voulais surtout pas que l’on m’accuse de manquer de volonté! J’avais la volonté sincère de briser le cycle de la dépendance. Mais plus je réduisais mes doses, même de façon progressive, plus je devais les augmenter par la suite pour pallier les effets du sevrage. Parce qu’en règle générale, les symptômes de sevrage d'une substance sont à l’opposé de ses effets bénéfiques. Ainsi, pour les benzodiazépines que je prenais, je faisais de l’insomnie et de l'anxiété (contraire de leurs effets hypnotique et anxiolytique), je ressentais des tensions et des douleurs musculaires (contraire de leur effet myorelaxant) et, parce que mon cas était sévère, j’étais saisie de crises d'épilepsie ou de convulsion (contraire de leur effet antiépileptique).

La drogue et l’alcool : des pièges sournois

 

 

Contrairement à la mouche prise au piège par le népenthès, le toxicomane peut se libérer du joug de la dépendance.

 

 

 

 

N’est-ce pas David qui gagne contre Goliath?

 

Contrairement à la mouche prise au piège par le népenthès, le toxicomane peut se libérer du joug de la dépendance. Mais il doit user d’une ruse, comme David l'a fait pour vaincre Goliath, et ainsi ne pas se fier à son cerveau de toxicomane qui lui dicte de recourir aux drogues.

La ruse est simple mais nécessite trois étapes bien coordonnées :

  1. Se rendre compte qu’on a un problème et qu’on est incapable de s’en sortir seul;
  2. Demander de l’aide et l’accepter (en appelant Portage par exemple);
  3. Découvrir les raisons qui nous poussent à consommer (la communauté thérapeutique de Portage est là pour nous aider).
Clin d’œil historique

Le terme népenthès signifie en grec ancien « pas de tristesse » et se retrouve dans les écrits d’Homère (700 av. J.C.) Il s’agit d’une boisson préparée avec le suc de la plante qui jadis était utilisée pour calmer le deuil, la colère et la haine. Ce qui prouve que le besoin de dissiper ses ennuis par le recours aux psychotropes dure depuis des millénaires. Ainsi, devrions-nous juger les individus qui tombent dans ce piège?

 

Isabelle Fortin

Bloggeuse pour Portage

 

Lire De la prison à la sobriété, témoignage d'une résidente

Lire Comment le cannabis m'a détruite, témoignage d'une résidente

 

[1] Carr, Allan, La méthode simple pour maîtriser sa consommation d'alcool, Pocket, 2005, pp. 51-52. Contrairement à son titre, qui semble avoir été choisi pour des raisons purement marketing, Allan Carr développe dans ce livre une méthode pour cesser définitivement toute consommation d’alcool. Il y propose une déprogrammation des clichés glorificateurs de l’alcool.

 

 

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